Mot de Cyprien

Monsieur le curé -doyen, messieurs les abbés, cher  papa  André, chers amis, distingués invités, je m’adresse  à vous afin de partager mes émotions de joie car c’est un moment à la fois de solennité et de fierté pour moi.

 La solennité  réside dans le fait que très officiellement grâce à l’analyse de mon dossier et à la  confiance qui m’a été faite j’ai été naturalisé.  Solennité et fierté . Fierté , il ne s’agit pas de fierté qui donne de l’arrogance ou de la suffisance non ,je pense essentiellement à la fierté de satisfaction. Je suis ainsi fier d’appartenir à ce beau pays de liberté, d’égalité devant la loi et de fraternité ; et à cette belle communauté qui respecte les droits fondamentaux , mais également fier du devoir accompli après tant d’années d’attente et de patience. Mon parcours  de mon pays d’origine jusqu’en Belgique n’a pas été un parcours linéaire composé de vie toujours réussie. Il a été également rempli de plusieurs péripéties.  Je suis également fier d’avoir d’été accompagné  sur ce chemin de réussite qui n’est pas l’aboutissement mais un début. Ma naturalisation  est un symbole même s’il est important, il ne constitue pas forcément l’essentiel à mes  yeux. Je vous surprends probablement mais sachez que pour moi,  l’essentiel est dans ce que servira pour moi et pour vous dans les jours à venir . Chers amis,  permettez-moi d’abord de vous raconter mon parcours. C’était au début du mois de juin 2012 date à laquelle j’ai débarqué en Belgique. Arrivé dans un état de fatigue et de méfiance généralisé et de découverte. J’ai été  accueilli  à Liège avant de me présenter à l’office des étrangers. Le 7 juin j’ai été envoyé au centre  provisoire de la croix rouge de Gembloux où j’ai passé 6 semaines avant d’être transféré au centre d’Herbeumont « les fourches » dans la province de Luxembourg. Après 10 mois, j’ai été retransféré dans une initiative locale d’accueil à Diest (chez nos frères flamands ) et c’est de là que j’ai obtenu le statut de réfugié pour des raisons qui ne sont pas gaies à raconter car ce n’est l’objet de ce jour. C’est durant ma présence à Herbeumont  que  j’ai fait  la connaissance du père Philippe de Vestel, père missionnaire d’Afrique communément appelé père Blanc qui était le curé de ma paroisse d’origine quand j’étais servant de messe. Celui-là m’a  recommandé d’aller chez l’abbé Vénuste ici présent.( j’avais entendu parler de lui mais je le connaissais pas )  Mais j’avais presque perdu la confiance dans les prêtres pour des raisons relatives à mon départ du Rwanda. Quelques mois plus tard, étant  à Diest, j’ai fait  la connaissance d’un médecin nommé Murenzi Jean Baptiste qui a contacté lui-même l’abbé Vénuste avant que je puisse le contacter en mon tour.

Mon parcours continue avec un nouvel épisode qui débute avec mon stage à Braine-l’Alleud. Mais je suis arrivé fin  juillet où j’ai pris part au camp des ados à Poligny en France en tant qu’observateur. J’ai officiellement commencé mon stage le 1 septembre 2014. Effrayé, angoissé, affaibli, distant de toute personne, j’économisais tout jusqu’à mon  souffle. J’observais beaucoup de choses.  Et petit à petit et  difficilement, avec un peu de sommeil au cours des réunions ,j’ai dû m’intégrer progressivement à la vie paroissiale. Accompagné avec un suivi régulier et efficace : comme l’académie de Braine-l’Alleud, les lectures spirituelles, en passant par une formation à l’écoute spirituelle, à la liturgie et à la pastorale de la santé en même temps que mes études de sociologie.

Il me vient donc à l’honneur aujourd’hui de rendre hommage à toutes les personnes qui ont contribué à mon relèvement. A vous d’abord l’équipe paroissiale, aux prêtres à vous Charlotte pour tant de conseils relatifs à me défouler pendant le moment difficile . Je n’oublierai jamais, quand j’étais de retour de Malines avec des tristes nouvelles ( vous m’avez dit ,va d’abord pleurer aujourd’hui et demain, et après prépare tes examens, il ne faut pas que tu  rates deux choses à la fois ) cela a eu un résultat positif.  Merci à vous tous de votre présence, merci à notre communauté paroissiale. Merci à vous, Alain  curé-doyen d’avoir  pensé et mis en œuvre cette belle initiative festive.

Si j’ai commencé mon texte en relatant des faits, des événements de façon plus ou moins chronologique, c’est parce qu’un texte en dehors du contexte est un prétexte. Passons maintenant aux événements de la vie. Chers amis, permettez-moi de remercier le Seigneur et l’évêque qui m’a accueilli  dans son diocèse. Comme vous le voyez, il y a des choses que je ne sais réaliser seul. j’aimerais que vous, père doyen, quand vous verrez l’évêque, que vous lui transmettiez mes  sincères remerciements   de m’avoir accueilli et accompagné jusqu’aujourd’hui. Merci également aux paroissiens et aux amis de la paroisse.

Maintenant c’est vous et votre famille que je remercie du fond du cœur .Merci Papa André  et joyeux anniversaire de 91 ans. Merci d’avoir éduqué les gens de bons cœurs qui m’ont  transmis ce qu’ils ont reçu de vous. Ils m’ont éduqué, soutenu, corrigé, relevé.

Merci Catherine de m’avoir expliqué les statistiques. Votre manière de m’expliquer les choses a été comme un souffle nouveau qui m’est arrivé. Depuis ce jour-là plus d’échec ! (les témoins sont ici )

Enfin , merci père Alain pour tout ce que vous m’avez appris et donné. J’ai reçu beaucoup de votre part. L’anthropologue  Marcel Mauss a théorisé le concept du don et du contre don : Donner, ce n’est pas d’abord donner quelque chose, c’est se donner dans ce que l’on donne  Le don cérémoniel est une procédure de reconnaissance. il ajoute que  le donneur a une forme de prestige ou d’honneur dans le fait de savoir-donner, quant au receveur il doit d’abord savoir-recevoir et doit ensuite savoir-rendre . Voilà ce que la formation que j’ai reçue  m’a apporté. Elle a   produit des fruits. Pour ça, j’ai pensé une chose : Aujourd’hui nous sommes le 21 juillet, le jour de la fête Nationale .Nous savons bien qu’hier le roi a prononcé un discours qui est revenu sur les valeurs. En revenant  à ces valeurs que je dois défendre avec tout mon être, j’ai pensé à 3 choses : le roi, le royaume et la protection de ce royaume. J’ai également pensé d’où je viens, comment je suis venu et mon état actuel.

Ce tambour symbolise le royaume, le règne. Mais aussi c’est un symbole d’alerte (au Rwanda ancien quand le pays était attaqué, on battait les tambours pour crier au secours. Voilà vous m’avez aidé, vous  m’avez secouru  dans les moments difficiles. Le tambour est aussi le symbole de la joie. Me voici joyeux  grâce à vous. C’est grâce à la paroisse Saint-Etienne que je peux chanter le cantique de Yahwe sur ce qui était la terre étrangère  ! Ps 136,4

Le bouclier c’est le symbole de la protection.  Le pays doit être protégé , j’en fais partie, et vous, vous m’avez protégé .

Bien chers amis ,je voudrais encore une fois vous remercier de votre présence ,de votre soutien ,de vos prières. Vive le roi ,vive la loi ,la liberté, et l’union fait la force.

Mot de notre curé Alain

Bien cher Cyprien,

Quelle joie de te fêter en ce jour de fête nationale, toi qui as reçu la nationalité belge. Recevoir une nationalité, c’est recevoir en cadeau une grande famille humaine riche par sa diversité et son histoire. Cette grande famille qu’est le peuple belge devient la tienne mais c’est aussi notre nation qui te reçoit en cadeau.

Notre paroisse n’a pas attendu que tu reçoives la nationalité belge pour t’accueillir. D’ailleurs, ce n’est pas en vertu de sa nationalité que nous avons à accueillir une personne mais en vertu de son humanité. Une humanité qui parfois peut être blessée par son histoire.

Tu es arrivé ici, cher Cyprien, blessé par ce qui venait de t’arriver mais tu es arrivé le cœur ouvert et nous aussi, nous t’avons ouvert notre cœur. C’est là tout le sens du mot du mot hôte qui signifie à la fois celui qui accueille et celui qui est accueilli et qui, lui aussi, est appelé à accueillir la personne qui le reçoit. L’hospitalité est appelée à être réciproque pour être pleinement vécue.

Merci, cher Cyprien, pour cette belle personne que tu es, pour ta serviabilité à toute épreuves, pour ton désir de mieux comprendre la société dans laquelle nous vivons. C’est ce désir de compréhension de la société qui t’a conduit à vouloir entreprendre des études de sociologie que tu mènes brillamment à l’Université Catholique de Louvain.

A travers tout ton parcours de vie, qui est loin d’être fini, tu peux faire tienne ces paroles de Saint Paul lorsqu’il dit

J’ai gardé la foi. Le Seigneur, lui, m’a assisté. Il m’a rempli de force. A lui la gloire pour les siècles des siècles. Amen.

Je demande à la Bienheureuse Vierge Marie pour toi et pour nous tous ce cœur d’or que le père de Grandmaison nous invite à lui demander dans cette belle prière :

Sainte Marie, Mère de Dieu garde-moi un cœur d’enfant, pur et transparent comme une source. Obtiens-moi un cœur simple, qui ne savoure pas les tristesses, un cœur magnifique à se donner, tendre à la compassion, un cœur fidèle et généreux, qui n’oublie aucun bien et ne tienne rancune d’aucun mal.

Fais-moi un cœur doux et humble, aimant sans demander de retour, joyeux de s’effacer dans un autre Cœur, devant ton divin Fils. Un cœur grand et indomptable, qu’aucune ingratitude ne ferme, qu’aucune indifférence ne lasse,

un cœur tourmenté de la gloire de Jésus-Christ, blessé de son Amour, et dont la plaie ne guérisse qu’au ciel.

Amen.

Homélie du Te Deum

L’évangile que nous venons d’entendre nous révèle à quel point une simple visite peut être source de vie.

Une femme, Marie, portant en elle un signe de vie part à la rencontre d’une autre femme, Elisabeth, portant, elle aussi, la vie en elle.

Elisabeth accueille la visite de Marie comme un bonheur : Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi et Marie aussi accueille sa rencontre avec Elisabeth comme un bonheur. Un bonheur qui la pousse à dire mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon sauveur.

Ce que porte l’une est venu rejoindre ce que porte l’autre.

Toutes proportions gardées, cette expérience est fréquente dans les relations ordinaires de la vie lorsque chacun peut dire à l’autre ce qu’il porte en lui comme joie, comme peine, comme bonheur, comme souffrance. La parole de celui qui confie ses joies et ses peines trouve ainsi écho en la propre existence de celui à qui il peut les confier. Ce n’est pas pour rien si cela se nomme visitation

Dans une visite, le bonheur est réciproque lorsque chacun se laisse visiter, se laisse toucher par ce que l’autre porte si bien que l’on peut dire que non seulement le bonheur est réciproque mais la visite l’est aussi. Chacun est visité par la parole de l’autre et par ce qu’il porte en lui comme joie et comme peine.

Les visites effectuées ces derniers mois par le Roi et la Reine ont précisément pour but d’attirer notre attention sur toutes celles et ceux, grâce à qui, la vie dans notre pays est soignée, sauvée, nourrie, protégée, soutenue, défendue.

Ces visites du Chef de l’Etat et de son épouse ont aussi pour objectif de soutenir les personnes qui souffrent encore davantage depuis le début de la pandémie.

Comme le dit si bien Victor Hugo : « La vie, le malheur, l’isolement, l’abandon, la pauvreté, sont des champs de bataille qui ont leurs héros : héros obscurs plus grands parfois que les héros illustres »

Ce sont ces héros « obscurs » puisqu’ils travaillent dans l’ombre, que notre souverain ainsi que la reine Mathilde tiennent à mettre en lumière par leurs visites.

Parmi leurs dernières visites, je pense à celle rendue par la reine Mathilde accompagnée de sa fille Eléonore à Kamiano, un restaurant de Sant Egidio pour les sans-abris afin d’encourager les bénévoles dans leur engagement pour les plus démunis et les sans-abris et de rencontrer ceux qui étaient déjà pauvres, seuls et sans abris et qui sont dans une situation rendue encore plus difficile par le confinement et la crise sanitaire.

Il y a eu aussi la conversation par skype du roi Philippe avec des résidents d’un home du CPAS de Quaregnon leur permettant ainsi de lui raconter leur quotidien, leur ressenti par rapport à ce qu’ils vivent avec cette crise sanitaire. Le roi a également parlé à un ergothérapeute et à une infirmière de cet établissement.

D’autres visites effectuées par le chef de l’Etat ont eu pour but d’exprimer sa reconnaissance et ses encouragements au nom de notre pays au personnel soignant des hôpitaux, aux policiers, aux militaires, à ceux qui travaillent dans le centre de crise ou pour la logistique sans oublier les commerçants, les travailleurs dans l’horeca, les postiers du centre de tri de Braine-l’Alleud pour souligner l’importance du travail des personnes qui assurent, dans un contexte difficile, des services essentiels pour le pays.

Ces visites du couple royal nous révèlent comme il est vital de pouvoir être visité surtout quand on souffre de l’isolement, d’un isolement accru par la crise sanitaire. Et c’est là que je voudrais pour terminer relayer un appel de Mgr Eric de Moulins-Beaufort, président de la conférence des évêques de France.

Cet appel est contenu dans la lettre qu’il a écrite au Président de la République française, en réponse au souhait de celui-ci que chacun des responsables des cultes contribue à une réflexion nationale sur ce que la lutte contre l’épidémie de la Covid-19 nous apprend et sur l’avenir que nous entrevoyons.

Voici cet appel :

Un des aspects douloureux de la lutte contre l’épidémie a été l’impossibilité pour les familles d’aller rencontrer leurs proches malades et même leurs proches âgés habitants des maisons de retraite. Parce que l’on ne pouvait procurer à tous les moyens de protection nécessaire, de nombreuses personnes sont mortes dans la solitude, alors même que leurs enfants ou leurs amis auraient été prêts à venir à elles pour les soutenir et les accompagner.

Beaucoup de familles ont admiré le soin qu’ont eu les équipes hospitalières de leur donner des nouvelles, de les tenir au courant de l’évolution de la maladie : il y a eu là un immense travail auquel la nation doit rendre hommage. Il prouve que demeure vivante chez les soignants la conviction que leur métier consiste moins à soutenir un corps jusqu’à ce qu’il faille y renoncer qu’à fortifier une personne qui a une famille, des amis, une histoire, des projets, une certaine compréhension d’elle-même, de sa vie et de la vie, et de la mort comme de sa mort possible. Il est urgent que les politiques de santé incluent réellement cette conviction.

J’ai déjà regretté plusieurs fois publiquement, ajoute Mgr du Moulins-Beaufort, que les plans d’urgence des hôpitaux, prévoyant de ne plus y laisser entrer le personnel « non indispensable », incluent dans cette catégorie les aumôniers et tous les visiteurs. Non seulement une telle mesure réduit le patient à n’être qu’un bénéficiaire de soins médicaux mais elle fait peser le poids de l’accompagnement des personnes sur les seuls soignants, par définition débordés dans une telle situation. Je demande donc solennellement, conclut le président de la conférence des évêques de France, que ces plans d’urgence soient revus et je remercie les directeurs d’hôpitaux et de soins et les chefs de service et les soignants de tous les ordres qui ont su, lorsque les patients ou leur famille le demandaient, appeler l’aumônier de l’hôpital. Mais il me paraît indispensable que cette attitude-là soit inscrite dans les règles de l’hôpital.

Fin de citation.

Que toutes les personnes dont le travail est mis en lumière et encouragé par les visites de nos souverains soient remerciées non seulement en ces jours de crise mais pour toujours.

Vive la Belgique, vive le Roi, vivent tous les héros qui, dans notre pays, luttent contre l’isolement, l’abandon, la pauvreté et la maladie.

Que Dieu les bénisse et les garde !

Amen !

Un Te Deum en hommage aux victimes et aux soignants de la crise sanitaire

La célébration du Te Deum s’est déroulé ce 21 juillet en notre église paroissiale.
Elle a commencé par 3 minutes de recueillement, comme dans tout le pays pour rendre hommage aux victimes du coronavirus et à toutes les personnes dont le métier a contribué et contribue encore à lutter contre l’épidémie. Les cloches de toutes les églises de Belgique ont ensuite résonné simultanément.

Au début de la célébration les deux monuments rappelant que notre église servit d’hôpital après la bataille de Waterloo furent fleuris en hommage aux victimes et aux soignants pendant la crise sanitaire. L’évangile qui fut proclamé pendant la célébration fut celui de la visitation (Lc 1, 39-56) suivi de l’homélie prononcée par notre doyen Alain de Maere (ici)

Une belle et chaleureuse fête pour Cyprien, notre nouveau compatriote !

Ce jour de fête nationale était également le jour tout indiqué pour fêter Cyprien qui vient de recevoir la nationalité belge.

Après un mot qui lui fut adressé par notre curé Alain (ici), voici le mot que Cyprien adressa à toute notre paroisse et à ses invités (ici)

Merci à toutes celles et ceux qui se sont manifesté d’une manière ou d’une autre et à toi, Cyprien pour le cadeau qu’est ta présence !

Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.

Vis le jour d’aujourd’hui
Auteur : Sœur Odette Prévost

Vis le jour d’aujourd’hui,
Dieu te le donne, il est à toi.
Vis le en Lui.

Le jour de demain est à Dieu
Il ne t’appartient pas.
Ne porte pas sur demain
le souci d’aujourd’hui.
Demain est à Dieu,
remets le lui.

Le moment présent est une frêle passerelle.
Si tu le charges des regrets d’hier,
de l’inquiétude de demain,
la passerelle cède
et tu perds pied.

Le passé ? Dieu le pardonne.
L’avenir ? Dieu le donne.
Vis le jour d’aujourd’hui
en communion avec Lui.

Et s’il y a lieu de t’inquiéter pour un être aimé,
regarde-le dans la lumière du Christ ressuscité.

Soeur Odette Prévost
petite soeur de Charles de Foucault
assassinée en Algérie le 10 novembre 1995

Samedi 18 juillet : la Croix

Pour écouter le chant et l’enseignement cliquer ici

Quel que soit leur pays d’origine, les saints ont un langage qui leur est commun c’est le langage de la Croix.
Quel est ce langage ?

C’est le langage du pardon : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font »

C’est le langage de l’accueil et du salut : « Amen, je te le dis, aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis »

C’est le langage du cri de la souffrance : « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? »

C’est le langage de la remise confiante de soi entre les mains de Dieu : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit »

C’est le langage qui nous remet entre les mains de Marie et qui remet Marie entre nos mains.

Les réponses à ce langage sont variées :

Il y en a qui ne répondent pas mais qui observent comme le peuple qui restait là à observer.

Il y en a qui se moquent de ce langage comme les soldats

Il y en a qui répondent à ce langage par l’injure comme un des larrons

Il y en a qui réponde à ce langage par une prière de supplication comme l’autre larron : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume »

Il y en a d’autres qui répondent par une présence confiante, soutenante et silencieuse comme Marie et le disciple bien-aimé.

Il y a aussi la réponse du centurion qui glorifie Dieu en reconnaissant en Jésus un homme juste.

Il y a aussi ceux qui, en réponse, observent ce qui se passe et prennent le chemin de la conversion, de la contrition comme toute la foule de gens qui s’en retournent en se frappant la poitrine.

Ce langage nous a également été donné par immersion depuis le jour où nous sommes baptisés au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ce langage, nous sommes invités à le pratiquer, nous sommes appelés à en vivre pour ne pas le perdre.

Et pour apprendre à parler le langage de la croix, nous avons d’excellents enseignants. Parmi les enseignants du langage de la croix, il y a les bienheureux martyrs d’Algérie. Dans leur manière d’être, dans leur façon de vivre jour après jour que nous découvrons la beauté et la valeur inestimable du langage de la croix.

Pour l’un d’entre eux, Pierre Claverie, parler le langage de la croix c’est se placer, comme Jésus, sur la croix, sur les lignes de fracture de notre société, les bras étendus, pour rassembler les enfants de Dieu dispersés par le péché c’est-à-dire par tout ce qui les sépare, les isole et les dresse les uns contre les autres et contre Dieu lui-même. Jésus s’est en effet placé sur les lignes de fractures de l’humanité là où il y a rejet, intolérance, cassure que ce soient les lignes de rupture à l’intérieur des personnes malades, désespérées, solitaires, rejetées, que ce soient les fractures entre les groupes humains ; le pharisien et le publicain, le juif et le non-juif, le croyant et le non-croyant et donc Jésus s’est placé là et il n’a pas fait autre chose que de se placer là et c’est la dernière image que donne Jésus dans sa vie d’un homme écartelé ; une main à l’intérieur, une main avec l’exclu et il place ses disciples sur ces mêmes lignes de fracture avec la même mission de guérison et de réconciliation. L’Eglise accomplit sa vocation et sa mission, elle parle le langage de la croix quand elle est présente aux ruptures qui crucifient l’humanité dans sa chair et dans son unité.

La croix, c’est, nous enseigne Pierre Claverie, la place de l’Eglise, c’est notre place parce que c’est la place de Jésus… La croix c’est l’écartèlement de celui qui ne choisit pas un côté ou un autre, parce que si Jésus est entré en humanité, ce n’est pas pour rejeter une partie de l’humanité. 

Alors, il est là et il va vers les malades, vers les publicains, vers les pécheurs, vers les prostituées, vers les fous…Il va vers tout le monde. Il se met là et il essaie de tenir les deux bouts.

La réconciliation ne peut se faire que de manière coûteuse, elle ne peut se faire simplement.

Parler le langage de la croix, nous enseigne encore Pierre Claverie, conduit à lutter, comme Jésus, contre les puissances de la mort avec les armes de la vie que sont l’amour, la justice, la paix, la liberté, la vérité, la confiance, la compassion.

Parler le langage de la croix c’est « donner sa vie pour que d’autres vivent », c’est avec Jésus et comme lui, exposer sa vie sans craindre ceux qui tuent le corps mais ne peuvent tuer l’esprit…Ce qui fait dire à Pierre Claverie : « la vie est une résurrection indéfinie où la mort signe, chaque jour, le sérieux de notre discours et de nos engagements. Jésus nous permet de transformer la mort subie en don actif de nous-mêmes où la vie se renouvelle et s’intensifie…   En faisant tout cela, nous donnerons notre vie, sans peur de l’exposer, avec Jésus, dans l’espérance de la résurrection et pour que vienne le Règne des vivants. »

Or près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie femme de Cléophas, et Marie-Madeleine.

Parler le langage de la croix c’est aussi, comme l’ont fait les martyrs d’Algérie, rester auprès de ceux qui souffrent, malgré l’insécurité, pour témoigner de ce que sont la fraternité, le partage, l’amitié, et parce que leur départ aurait été vécu comme un abandon.

Ce langage de la croix, inspiré, enseigné par Marie et Jean se tenant près de la croix de Jésus, consiste, comme le dit Pierre Claverie, à se tenir, à rester auprès de ceux qui souffrent, à être là comme au chevet d’un ami, d’un frère malade, en silence, en lui serrant la main, en lui épongeant le front, c’est être présent dans les lieux de souffrance et de déréliction.

Chacun des 19 martyrs mais aussi tous les permanents de l’Eglise d’Algérie de l’époque ont eu un moment donné ou un autre, pendant la décennie où la violence faisait rage, la possibilité de quitter le pays et d’aller se mettre en sécurité ailleurs et tous ont fait profondément le choix de rester, d’approfondir le sens de leur présence dans une société qui était traversée par la violence et ils ont discerné que le don d’eux-mêmes qu’ils avaient déjà fait, devait se poursuivre et que le fait de rester dans le pays leur permettait de donner tout son sens aux liens de fraternité, de proximité au moment où leurs frères et sœurs en humanité se trouvent dans l’épreuve.

« Père, pardonne-leur ils ne savent pas ce qu’ils font »

Le langage de la croix c’est aussi le langage du pardon. C’est dans ce langage, que s’exprime le frère Christian de Chergé, prieur des moines de Tibhirine dans son testament spirituel lorsqu’il écrit : « J’aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout cœur à qui m’aurait atteint ».

« Père, je remets mon esprit entre tes mains »

Parler le langage de la croix c’est aussi se remettre, comme Jésus, dans la confiance, entre les mains de Dieu comme nous l’enseigne sœur Marie-Angèle, elle aussi martyr d’Algérie, lorsqu’elle dit « Je demande à Dieu d’être un peu plus ouverte à son Amour pour qu’ainsi, ce soit lui qui soit révélé à travers nos vies »

Depuis notre baptême, nous sommes marqués du signe de la croix. Et si, ce jour-là, nous avons été plongés dans l’eau du baptême c’est pour apprendre, par immersion, le langage de la croix.

Ce langage de la croix, nous le parlons chaque fois que, dans un engagement concret, nous nous plaçons sur les lignes de fractures c’est-à-dire sur les murs qui divisent notre société entre riches et pauvres, malades et bien portants, nationaux et immigrés, jeunes et âgées afin de remplacer ces murs par des ponts.

Nous parlons le langage de la croix chaque fois que nous luttons avec les armes de la vie contre toutes les formes de mort. Nous le parlons aussi chaque fois que nous restons auprès de ceux qui souffrent, chaque fois que nous pardonnons, chaque fois que nous nous remettons entre les mains du Seigneur pour qu’il fasse de nous un pain de vie.

Comme l’écrivit un jour frère Luc : « La sainteté est pour tous comme le pain est pour tous. La sainteté pour les chrétiens, c’est tout simplement laisser vivre Jésus-Christ en nous-même. »

C’est Saint Bernard de Clairvaux qui dit :

« L’homme est cruciforme c’est-à-dire il a été créé en forme de croix.  Qu’il étende les mains et cela devient plus évident ».

Ce sont les bras ouverts de son papa ou de sa maman qui donnent au jeune enfant, dont les premiers pas sont encore hésitants, l’audace de s’y précipiter et d’y trouver refuge.

C’est aussi pour manifester la joie des retrouvailles ou pour exprimer de la compassion que des personnes se prennent dans les bras l’un de l’autre.        

Dans la célébration de l’eucharistie, le prêtre a également les bras étendus aux dimensions de la multitude et les chrétiens ouvrent les mains pour dire la prière des enfants de Dieu.

Rien de tels que les bras ouverts pour être à l’image et à la ressemblance du Père !

En créant l’homme en forme de croix, Dieu inscrit en notre corps sa vocation d’être un corps ouvert aux dimensions de l’univers et de l’accueil de l’autre.

Mais tôt ou tard, nous en faisant tous l’expérience, nous avons vite fait de nous replier. Par peur de perdre son bonheur, l’homme court le risque de refermer les bras, oubliant ce que chante le poète Aragon : « Ses bras sont l’ombre d’une croix mais quand il veut serrer son bonheur, il le broie… »

Les bras se resserrent sur le conjoint par peur de le perdre ou sur les enfants que l’on ne peut se résoudre à voir partir ou sur des objets qui procurent une illusoire sécurité…

En contemplant la passion de Jésus, regardons ses bras qui, malgré la souffrance qui lui est infligée, restent constamment ouverts pour rassembler les enfants de Dieu dispersés par tout ce qui les sépare, les isole et les dresse les uns contre les autres et contre Dieu lui-même.

En méditant aujourd’hui la passion de Jésus, nous pourrions demander au Seigneur la grâce de réapprendre de lui à ouvrir nos bras là où nous aurions de justes raisons de les refermer définitivement.

Les 19 bienheureux martyrs d’Algérie qui ont précisément appris de Jésus à garder les bras ouverts même lorsque la violence et la haine se déchaînent. Leurs bras sont restés ouverts, comme ceux du Christ en croix.

Ecoutons une homélie que prononça le Bienheureux Pierre Claverie, un an avant sa mort :

Depuis le drame algérien, on m’a souvent demandé : « Que faites-vous là-bas ? Pourquoi est-ce que vous restez ? Secouez donc la poussière de vos sandales ! Rentrez chez vous ! » « Chez vous… » Où sommes-nous chez nous ? Nous sommes là-bas à cause de ce Messie crucifié. A cause de rien d’autre et de personne d’autre ! Nous n’avons aucun intérêt à sauver, aucune influence à maintenir. Nous ne sommes pas poussés par je ne sais quelle perversion masochiste ou suicidaire. Nous n’avons aucun pouvoir, mais nous sommes là comme au chevet d’un ami, d’un frère malade, en silence, en lui serrant la main, en lui épongeant le front. A cause de Jésus, parce que c’est lui qui souffre là, dans cette violence qui n’épargne personne, crucifié à nouveau dans la chair de milliers d’innocents. Comme Marie, comme St Jean, nous sommes là, au pied de la Croix où Jésus meurt, abandonné des siens, raillé par la foule. Est-ce que ce n’est pas essentiel pour un chrétien d’être là, dans les lieux de souffrances, dans les lieux de déréliction, d’abandon ?

Où serait l’Eglise de Jésus-Christ, elle-même Corps du Christ, si elle n’était pas là d’abord ? Je crois qu’elle meurt de n’être pas assez proche de la Croix de Jésus. Si paradoxal que cela puisse vous paraître, et St Paul le montre bien, la force, la vitalité, l’espérance, la fécondité chrétienne, la fécondité de l’Eglise viennent de là. Pas d’ailleurs ni autrement. Tout, tout le reste n’est que poudre aux yeux, illusion mondaine. Elle se trompe, l’Eglise, et elle trompe le monde lorsqu’elle se situe comme une puissance parmi d’autres, comme une organisation, même humanitaire ou comme un mouvement évangélique à grand spectacle. Elle peut briller, elle ne brûle pas du feu de l’amour de Dieu, « fort comme la mort » dit le Cantique des Cantiques. Car il s’agit bien d’amour ici, d’amour d’abord, d’amour seul. Une passion dont Jésus nous a donné le goût et tracé le chemin : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Donner sa vie. Cela n’est pas réservé aux martyrs ou du moins, nous sommes peut-être appelés à devenir des martyrs témoins du don gratuit de l’amour, du don gratuit de sa vie. Ce don nous vient de la grâce de Dieu donnée en Jésus-Christ. Et comment traduire ce don, cette grâce ? Nous l’avons appris et venons de le chanter, dans la prière scoute. Ecoutez ! Et prenez au sérieux les mots que vous avez chantés : 

Seigneur Jésus,

apprenez-nous à être généreux,

à vous aimer comme vous le méritez,

à donner sans compter,

à combattre sans souci des blessures,

à travailler sans chercher le repos,

à nous dépenser sans attendre d’autre récompense

(gratuitement !) que celle de savoir que nous faisons votre Sainte Volonté.

Rien de plus, rien de moins. Donner sa vie c’est cela et rien d’autre ! Dans chaque décision, dans chaque acte, donner concrètement quelque chose de soi-même : son temps, son sourire, son amitié, son savoir-faire, sa présence, même silencieuse, même impuissante, son attention, son soutien matériel, moral et spirituel, sa main tendue… sans calcul, sans réserve, sans peur de se perdre… Le témoignage de nos sept trappistes était tellement simple et tellement grand ! Ils n’avaient pas besoin de beaucoup de paroles – comme les Dominicains ! Ora et Labora. Prie et travaille, travaille la terre, travaille au champ de Dieu, travaille à la réconciliation et à la fraternité avec tous. Ils accueillaient et (vous les avez connus, beaucoup d’entre vous…), ils soignaient aussi les pauvres de la montagne. Leur présence, humble et cachée, parle aujourd’hui plus fort que tous nos discours laborieux pour essayer d’expliquer ce que nous faisons en Algérie même. Ecoutez ce témoignage reçu d’un musulman parmi des centaines d’autres :

« Nous faisons le choix de rester » disait le frère Christian (Christian de Chergé, le prieur des trappistes) et encore : « Que devient ce don chez celui qui laisse son ami quand le danger est là ? » C’est Christian qui disait cela. Et le musulman continue : « Adieu frère Christian ! tu as choisi de rester tout en étant conscient des risques que tu encourais, toi et tes frères. Il fallait être fou pour rester dans ce monastère, juché en plein maquis des assassins. As-tu jamais eu peur ? Je ne puis le penser ! Tu étais courageux, mon frère ! Comment as-tu regardé tes assassins ? Avec le regard et la pensée de celui qui sait pourquoi il meurt. Que faisais-tu là-haut dans ces montagnes ?… Vieux brigand de Dieu, tu chassais les pauvres, tu les kidnappais pour leur donner à manger, pour écouter leurs plaintes, ô mon frère le Brigand ! Partagé entre ta cellule et les travaux domestiques, tu mangeais du pain dur qui rend le cœur doux, ô vieux Brigand qui avais choisi la robe de bure et le martyre. Quoi te dire de plus, ô mon frère ? Rien, je n’ai pas les mots dignes de toi et des autres frères. Voilà ce que je répète : 

Tous les pauvres étaient sa famille,

Tous les hommes étaient ses frères,

Il a donné à manger à ceux qui avaient faim, 

Il a habillé ceux qui étaient sans vêtement     

Il a soigné les malades,

Il a défendu ceux qui étaient injustement traités

Il a accueilli ceux qui n’avaient pas de maison,

Tous les pauvres étaient sa famille,

Tous les hommes étaient ses frères,

Dieu soit miséricordieux avec lui.

(C’est ce que disait un jeune berbère à l’enterrement du P. Peyriguère, au Maroc.)

Je te les répète ces paroles, continue notre musulman, à toi frère Christian, aux sœurs de Bab el Oued et aux frères de Tizi-Ouzou, à tous ceux et à toutes celles, frères et sœurs des pauvres, qui restent avec nous pour partager notre misère. Demain, in cha Allah ! ils partageront avec nous la joie ! et il cite le psaume : « ceux qui sèment dans les larmes récoltent dans l’allégresse. »

La vie et la mort de nos frères trappistes crient l’Evangile.

Comme Jésus a raison de nous dire aujourd’hui : « Ne craignez pas les hommes, tout ce qui est voilé sera dévoilé, tout ce qui est caché sans ce monastère humble et silencieux de la montagne de Medea sera dévoilé. Tout ce qui est caché sera connu à la face du monde ! Ne craignez pas ceux qui tuent le corps mais ne peuvent tuer l’âme » (Mt 10,27). Car tout se passe là : dans l’âme, dans ce plus profond de nous-mêmes où se cherchent nos raisons de vivre et de mourir, d’espérer et d’aimer, parce que Dieu est là. Mais encore faut-il l’accueillir, Dieu, là !

Et cela nous ramène à Dominique, à sa prière continuelle, à sa prédication par la parole et par l’exemple. L’exemple précisément, d’une vie donnée pour sauver l’humanité du péché, du non-sens et de la mal-vie, de la mort. Le petit homme roux a fait de grandes choses mais on a retenu de lui ses longues veilles en prière, sa belle voix qui donnait à l’Evangile sa force et sa saveur, sa détermination obstinée quand il s’agissait du royaume de dieu et de l’œuvre de Dieu, son courage et son humilité devant les autres, hostiles ou méprisants, son sourire rayonnant. Jourdain de Saxe résume tout en une phrase sublime : « il accueillait tout le monde au cœur de son amitié, et comme il aimait tout le monde, tout le monde l’aimait. » Comment ne pas voir là ce qui unit tous les disciples du Christ, Dominique et François d’Assise, nos frères trappistes, tous, toutes ? Alors j’ai envie de dire à ma chère vieille Eglise catholique romaine et apostolique, embarrassée dans ses appareils, dans ses querelles internes, crispée parfois sur son héritage, enfermée dans le cercle étroit  de ses débats sans fin sur les rites et les lois, ce qu’il faut faire, ce qu’il ne faut pas faire… : « Parce que je t’aime, parce que tu as su donner naissance à des gens comme Dominique, François d’Assise, mais aussi à Bruno, à Célestin, à Christian, à Christophe, à Luc, Michel, Paul et tant d’autres, fais-nous renaître aujourd’hui, chacun et chacune, dans la lumière de ces promesses scoutes, dans l’élan de nos immenses générosités, dans le don de nos vies pour que vienne le Règne de Dieu. Amen